
Le Prix Nobel de physique 2025 décrypté par les chercheurs et chercheuses du PEPR Quantique
Le prix Nobel de physique a été remis le 7 octobre 2025 à John Clarke, Michel Devoret et John Martinis pour la découverte de l’effet tunnel quantique macroscopique et de la quantification de l’énergie dans un circuit électrique. Des travaux significatifs en physique quantique qui ont permis des avancées dans les domaines tels que les capteurs quantiques, les ordinateurs quantiques ou encore la cryptographie quantique.

Mais alors, que signifie cette découverte pour les chercheurs et chercheuses du PEPR Quantique ? Quel lien avec le programme et ses projets ? Décryptage dans cet article…
Un peu d’histoire
A la fin des années 1970, Michel Devoret soutient une thèse à l’Université d’Orsay (aujourd’hui Université Paris-Saclay). Il part ensuite en séjour post-doctoral à Berkeley sous la supervision de John Clarke, physicien britannique diplômé de l’Université de Cambdrige. Ce dernier est « l’un des spécialistes mondiaux d’un composant basé sur la jonction Josephson : le SQUID » (Superconducting Quantum Interference Device), comme l’explique Denis Vion, chercheur du groupe Quantronique au CEA. Durant ce séjour, Michel Devoret fait aussi la rencontre de l’américain John Martinis, alors en thèse. C’est à l’occasion de cette collaboration entre les trois physiciens que naitront les travaux récompensés aujourd’hui par le prix Nobel de physique.
Après son post-doctorat, Michel Devoret rentre en France et crée avec Daniel Estève et Cristian Urbina le groupe Quantronique au CEA-Saclay. Ils y accueilleront par ailleurs très vite John Martinis en post-doctorat, ainsi que John Clarke en séjour sabbatique, pour aller au-delà de leur expérience historique. Après 20 années de recherches du groupe sur les circuits quantiques et la physique mésoscopique, Michel Devoret retourne aux Etats-Unis au début des années 2000 pour enseigner à l’université de Yale et y fonder un nouveau groupe de recherche. De 2006 à 2012, il est titulaire de la Chaire de Physique Mésoscopique au Collège de France, et il crée avec Benjamin Huard, enseignant-chercheur ENS au LPENSL, le groupe Électronique Quantique à l’École Normale Supérieure (ENS).
En 2007, il est élu membre de l’Académie française des sciences. Il s’est récemment installé à Santa Barbara pour enseigner à l’Université de Californie. Depuis peu, il est conseiller scientifique au sein du Quantum Artificial Intelligence Lab, initiative commune entre Google et la NASA.
Les travaux récompensés…
La physique quantique, aussi appelée mécanique quantique, explique de nombreux phénomènes observés à l’échelle microscopique, « comme le fait que la matière et la lumière n’échangent de l’énergie que par « paquet », ou qu’un objet puisse être localisé à plusieurs endroits à la fois », rappelle Audrey Bienfait, chercheuse CNRS au LPENSL. Dès lors, cette discipline ne décrirait que le comportement d’objets infiniment petits, tels que les atomes, les photons ou les électrons.
Pourtant, comme le dit Denis Vion, c’est justement pour « avoir porté la physique quantique à l’échelle macroscopique » que les trois lauréats ont été récompensés pour leurs travaux fondamentaux, décrits dans des articles fondateurs parus entre 1984 et 1985. Le chercheur nous explique que lorsqu’on « conçoit un système macroscopique suffisamment bien protégé de l’extérieur, il peut se comporter selon les lois de la mécanique quantique ». Le système macroscopique en question ici était un circuit électrique, constitué de deux supraconducteurs séparés par une couche d’un matériau isolant ; on parle ici de jonction Josephson. Ce système a « montré deux caractéristiques quantiques fortes : des niveaux d’énergie du circuit séparés par des valeurs bien précises, comme dans les atomes, et le passage d’un état à un autre par effet tunnel, comme dans la désintégration radioactive alpha de certains atomes », développe Denis Vion. Nicolas Roch, directeur de recherche CNRS à l’Institut Néel, rajoute que ces travaux ont prouvé qu’une « jonction Josephson pouvait se comporter de manière quantique, comme un atome artificiel ».
Pour résumer, « la mécanique quantique n’est donc pas restreinte à décrire des systèmes microscopiques », nous dit Patrice Bertet, chercheur CEA au SPEC.
… et leur impact sur la recherche actuelle dans le PEPR Quantique
Ces travaux ont un impact important sur les recherches menées aujourd’hui, notamment au sein du PEPR Quantique, et plus particulièrement du projet RobustSuperQ. Les chercheurs et la chercheuse interrogées travaillent en outre tous dans le domaine des circuits quantiques supraconducteurs, thématique fondée par la découverte récompensée aujourd’hui.
Pour Benjamin Huard, c’est « ce type de découverte qui [lui] a fait comprendre que la beauté du monde quantique pouvait aussi s’appliquer à des objets beaucoup plus gros que l’on pouvait fabriquer et manipuler dans un petit laboratoire ». C’est par ailleurs cette « frontière entre mondes classique et quantique » et la mise en place de « circuits supraconducteurs réalisant des opérations impossibles en physique classique » qui le fascine et motive ses recherches. Audrey Bienfait, de son côté, mène des recherches sur ce sujet depuis plus de 10 ans, et « la variété d’objets et d’expériences qui peuvent être réalisées avec ces circuits [l]’étonne encore ». Patrice Bertet utilise pour sa part « les circuits supraconducteurs comme détecteurs ultra-sensibles de photons micro-ondes » avec l’aide d’Emmanuel Flurin, lui aussi physicien au SPEC.
Dans le projet RobustSuperQ
Denis Vion souligne que les recherches menées au sein de RobustSuperQ sont par ailleurs directement basées sur les travaux récompensés par le Nobel. Les scientifiques y développent en effet « des bits quantiques qui sont aussi des circuits-atomes artificiels », destinés à être utilisés pour le traitement quantique de l’information dans un ordinateur quantique. De plus, « ces circuits ont très souvent comme brique de base le même composant électrique que celui utilisé dans l’expérience des lauréats : la jonction Josephson ». Patrice Bertet rappelle enfin que « les chercheurs de RobustSuperQ sont pour une grande partie des étudiants et étudiantes de première ou seconde génération de Michel Devoret ».
Une source d’inspiration
Nicolas Roch a par exemple fait partie de ces élèves, ayant réalisé son premier post-doc avec Michel Devoret, qui est pour lui « une source d’inspiration exceptionnelle ». Benjamin Huard a pour sa part mené une thèse dans le groupe Quantronique, co-fondé par Michel Devoret, après le départ de ce dernier. Il a aussi eu « la chance inouïe de pouvoir démarrer un groupe de recherche avec [lui] à l’ENS en 2008 ». Michel Devoret est décrit par Denis Vion comme un « physicien hors-pair, toujours prêt à expliquer la physique quantique, avec […] une incroyable pédagogie ». Benjamin Huard et Patrice Bertet le confirment en évoquant respectivement son désir de transmission et sa « constante attention et son soutien bienveillant et désintéressé à l’égard des plus jeunes générations ».
Outre-Atlantique, John Martinis a également profondément marqué ce domaine de recherche et a été l’un des premiers à se lancer dans l’aventure industrielle. Denis Vion nous fait remarquer qu’en plus « d’être un physicien brillant, [John Martinis] est un ingénieur incroyablement doué, capable de réalisations techniques et scientifiques de très haut niveau ». Nicolas Roch ajoute qu’il sait « embarquer et motiver de larges équipes pour accomplir de très grandes choses (comme ce qu’il a fait à Google par exemple) ». Et pour Patrice Bertet, « le travail qu’il a accompli à Google est remarquable, et a mené à des résultats scientifiques très intéressants ».
Et pour la suite ?
Comme évoqué précédemment, les travaux récompensés le 7 octobre dernier sont très fondamentaux. Dans un contexte où l’ordinateur quantique est beaucoup mis sur le devant de la scène, ce prix fait figure « d’encouragement pour tous les jeunes chercheurs, y compris étudiants, à se passionner et à s’investir dans des questions fondamentales de physique, sans s’occuper immédiatement d’applications potentielles », nous confie Denis Vion. Nicolas Roch précise que « cela ne veut pas dire que l’ordinateur quantique ne sera jamais récompensé car, au fond, arriver à maintenir la cohérence quantique de multiples objets connectés ensemble et ceci sur des temps très longs reste un formidable challenge de physique théorique et expérimentale ».
Benjamin Huard s’interroge plutôt sur le problème de la mesure en mécanique quantique. Il aimerait en outre « comprendre un jour pourquoi la mesure d’un système quantique conduit à choisir un résultat plutôt qu’un autre. Cette différence de comportement entre la dynamique des systèmes quantiques bien isolés du monde extérieur et ce que notre cerveau et nos détecteurs enregistrent est un problème fascinant que les travaux de nos trois Nobélisés 2025 ont effleuré. » A Audrey Bienfait de conclure : « l’histoire des circuits quantiques n’est pas finie ! »
Le PEPR Quantique remercie les chercheurs et la chercheuse qui ont participé à cet article :
- Patrice Bertet, chercheur du groupe Quantronique au CEA au Service de physique de l’état condensé (SPEC, CEA / CNRS)
- Audrey Bienfait, chercheuse CNRS au Laboratoire de Physique (LPENSL, CNRS / ENS de Lyon)
- Benjamin Huard, enseignant-chercheur ENS de Lyon au Laboratoire de Physique (LPENSL, CNRS / ENS de Lyon)
- Nicolas Roch, directeur de recherche CNRS à l’Institut Néel (CNRS) et co-coordinateur du projet RobustSuperQ du PEPR
- Denis Vion, chercheur du groupe Quantronique au CEA au Service de physique de l’état condensé (SPEC, CEA / CNRS) et co-coordinateur du projet RobustSuperQ du PEPR
Pour en savoir plus, consultez les travaux qui ont valu le prix Nobel aux trois physiciens :
- Resonant Activation from the Zero-Voltage State of a Current-Biased Josephson Junction. Michel H. Devoret, John M. Martinis, Daniel Esteve, and John Clarke. Physical Review Letters, paru le 24 septembre 1984. DOI : 10.1103/PhysRevLett.53.1260
- Energy-Level Quantization in the Zero-Voltage State of a Current-Biased Josephson Junction. John M. Martinis, Michel H. Devoret, and John Clarke. Physical Review Letters, paru le 07 octobre 1985. DOI : 10.1103/PhysRevLett.55.1543
- Measurements of Macroscopic Quantum Tunneling out of the Zero-Voltage State of a Current-Biased Josephson Junction. Michel H. Devoret, John M. Martinis, and John Clarke. Physical Review Letters, paru le 28 octobre 1985. DOI : 10.1103/PhysRevLett.55.1908
Crédit image de couverture : © Johan Jarnestad/The Royal Swedish Academy of Sciences, from the NobelPrize.org press release, Nobel Prize Outreach 2025. Wed. 15 Oct 2025.
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